Usez et abusez des mots rares et précieux

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure… » ; certaines phrases résonnent comme autant de petites madeleines qui renvoient à notre patrimoine linguistique et littéraire. Le nombre de mots que nos auteurs ont légués à la langue française va bien au-delà des pages introductives de Du côté de chez Swann. Prenons plaisir à les redécouvrir et les utiliser au quotidien.

C. Monet, Impression, Soleil levant, 1872 © WK.

 

Ils sont partout ces mots nouveaux créés, comme dit le Robert, « par dérivation, composition, troncation, siglaison, emprunt, etc. ». Généralement ils n’ont pas bonne presse et on peut le comprendre lorsqu’il s’agit des bureautiques et autres déchèteries.

Mais il y en a qui sont bien intégrés, tel l’impressionnisme inventé par un journaliste pour le tableau de Claude Monet « Impression Soleil levant ». Depuis, les écrivains se sont passionnés pour les faire revivre à travers leurs plus belles créations, pour les emparadiser, comme Mallarmé, et même les apothéoser, à l’image d’un Baudelaire enthousiaste.

D’ailleurs, au risque de se faire admonester, tancer, voire morigéner par ses adversaires politiques, un certain Président de la République n’hésita pas à emprunter à Arthur Rimbaud son célèbre abracadabrantesque avec le retentissement que l’on sait.

Merci à Marcel Proust qui nous incite à ne plus brouillonner avec des carabistouilles et autres fariboles.

Merci à Balzac qui pense que rien n’est plus agréable d’entendre les vaches tintinnabuler dans un pré en ambulant avant de s’enforester, comme le suggère Chateaubriand, pour dormioter entouré de jolies bachelettes, chères à Balzac, pas forcément callipyges comme le suggère Victor Hugo.

Pour Chateaubriand, ce serait sans doute le bonheur absolu sans outrecuider outre mesure et surtout sans utiliser des propos cambronnesques contre une inintellectuelle migraineuse de passage (merci encore Marcel Proust !)

Alors, nous aussi, attachons-nous à repérer et à réutiliser ces merveilles littéraires pour ne pas les enterrer et les faire revivre.

De l’art de la conversation

Tout le monde sait parler, mais qui sait réellement converser ? Cet art de s’entretenir avec plusieurs interlocuteurs nécessite de l’entraînement, celui de la vie en société tout simplement.


J.F. de Troye, 1731 © WK.

Vous vous rendez à une réception et, mis à part la maîtresse de maison, vous ne connaissez pas les autres convives. Un silence pesant s’installe. Pire encore, l’un des invités monopolise la parole ou vous invective ouvertement. Voilà des situations que nous avons malheureusement tous vécues…

Converser contribue à la civilité d’un peuple. Cela suppose de l’empathie, c’est-à-dire savoir s’adapter à la personne avec laquelle on échange, faire preuve de tact et de respect, avoir le sens de l’écoute, partager ses connaissances sans tomber dans l’afféterie. Celui qui sait converser sera de cette fameuse « bonne compagnie » que l’on souhaite pour les autres et pour soi contrairement à la « mauvaise compagnie ».

Car il est, hélas, des compagnies ennuyeuses comme il en est des intéressantes, des conversations qui élèvent et des discussions qui abaissent, des bavardages tristes et des entretiens gais, des échanges fatigants et des dialogues stimulants, des affrontements inutiles et des commerces agréables. Pour ne pas faire partie du mauvais camp, le seul remède est de trouver en soi-même les ressources pour ne pas infliger aux autres ce qui nous fait nous-même souffrir. Quelles sont donc les règles de la « bonne compagnie » ?

Tout d’abord l’aspect. En effet, un joli sourire fait toute la différence. C’est une politesse élémentaire que de montrer un visage aimable. Quant à la conversation, il est toujours plus agréable pour votre interlocuteur de lui montrer un intérêt sincère. « Pratiquez-vous l’escrime ? C’est amusant, Charles aussi ! » Présenter les personnes entre elles en créant des liens, voilà un précieux conseil qui fera de vous, un hôte parfait.

Un peu d’esprit, un brin d’humour, sans oublier du second degré et le tour est joué ! Avec diplomatie, il est recommandé de privilégier des sujets qui permettent à chacun de s’exprimer. Religion ou encore politique, adieu polémiques inutiles ! Et pour la voix ? Qu’elle soit claire, posée et articulée surtout si votre interlocuteur est âgé.

Sachez remercier. L’ingratitude engendre l’amertume. Parmi les secrets de l’art de la conversation, il y a celui d’éviter de « monopoliser la conversation » afin que chacun puisse s’exprimer et être bon même si c’est parfois un effort. La bonté grandit l’autre et nous grandit nous-même.

Quant à la maîtresse de maison, elle veillera à la qualité de la conversation chez elle comme un trésor inestimable. Mme Necker, grande salonnière du XVIIIe siècle et mère de Germaine de Staël, le résumait par ces mots : « Le gouvernement d’une conversation ressemble beaucoup à celui d’un État. Il faut qu’on se doute à peine de l’influence qui la conduit. L’administrateur et la maîtresse de maison ne doivent jamais se mêler des choses qui vont d’elles-mêmes, mais éviter les maux et les inconvénients qui viennent à la traverse, éloigner les obstacles, ranimer les objets qui languissent. Une maîtresse de maison doit empêcher que la conversation ne prenne un tour ennuyeux, désagréable ou dangereux ; mais elle ne doit faire aucun effort tant que l’impulsion donnée suffit et n’a pas besoin d’être renouvelée ; trop accélérer c’est gêner. »

Comme un instrument de musique dont on joue régulièrement pour en garder la maîtrise, cultivons donc l’art de la conversation pour en obtenir les plus belles harmonies en ayant soin d’éviter les fausses notes qui nuisent à tout concert digne de ce nom.

Et pour éviter une malencontreuse panne d’inspiration et le passage d’un ange, le Bottin Mondain détient l’arme secrète. Avant la réception, pensez à consulter les pages de notre célèbre ouvrage pour en apprendre plus sur vos convives et, ainsi, avoir quelques idées de sujets en poche !

De grâce, n’écorchez pas mon nom…

Dis-moi ton nom, je ne saurai l’écrire… Autrement dit, un nom ne s’énonce pas toujours aussi clairement qu’il s’écrit. Voilà qui peut devenir un joyeux casse-tête…


Audrey Hepburn, My Fair Lady © Flickr

Nous disons aujourd’hui le « roi » sans songer qu’il y a deux siècles ou plus, on évoquait le souverain en prononçant les mêmes lettres avec une autre intonation : le rouè. Hé oui, aujourd’hui nous parlons « dur », à la parisienne. En réalité, nos vieux noms de famille ont traversé le temps et conservé les prononciations anciennes encore saupoudrées du parfum de nos provinces.

Le promeneur aujourd’hui énonce, sans omettre une syllabe, le village de Broglie (broglii), de Castries (castrii) ou la ville d’Uzès (uzèss). Mais il tend l’oreille en attendant la suite, face à un M. de Breuil, de Castre ou d’Uzé. Au fait, faut-il dire Beauvau-Craon ou bovo-cran ? – « Question de paresse, affirme l’un de leur familier. Craon est trop long à prononcer. Nous nous limitons à cran, en laissant peut-être un peu traîner le a, en hommage à l’accent de l’Est. » – « Avez-vous déjà dit paon pour pan ? » renchérit un autre. Ces répliques pourraient autant s’appliquer à la famille du Réau de la Gaignonnière : duréo ou duro ? Duro bien sûr, dans la douceur angevine.

Et la beauté de l’image ne doit-elle pas primer sur l’orthographe ? Imaginez-vous interpeller un Bellescize en lançant Bellès-qise alors que Mlle de Bellecise est si jolie. Il y a « belle heurette », comme on disait avant d’utiliser l’adverbe « longtemps », on se gardait bien de donner du « hé, bonjour, M’sieur de Bèsen-val » devant M. de Besenval (qui se dit besseval).

Rappelons aussi cette facétie rapportée par La Varende. Lors d’un bal donné dans une propriété normande, les cochers se seraient arrangés entre eux afin que leurs maîtres arrivent ensemble. Cela permit à l’aboyeur d’annoncer haut et fort : « MM. de Bizemont, Cumont, Belami ».

En règle générale, on n’aime pas les « s » dans les noms. Ils sifflent et les alourdissent, autant les négliger. MM. des Courtil(s), des Mouti(s), de Dura(s), de Fler(s), Fit(z)-Jame(s) et Lévi(s) Mirepoix, ne s’en portent que mieux, comme MM. de Le(s)trange et de l’E(s)pée ou encore M. de la Ville(s)bret qui se prononce villèbrè, tout simplement parce que dans l’ancien françois le es se disait è.

Il existe plus de quatre-vingt-dix noms qui se prononcent différemment de leur écriture. En faites-vous partie ? Cela pourrait être un jeu… de familles évidemment.

Un Trésor sauvé des flammes

Que savons-nous du « Trésor de Notre-Dame » ? Trois mots pour 2 000 objets uniques, pièces d’orfèvrerie et textiles liturgiques, qui forment l’impressionnante collection de la cathédrale.


Reliquaire de la Sainte Couronne de 1862 © WK


Ce que les révolutionnaires de 1791 réussirent à faire, le feu n’y est pas parvenu. Si le Trésor de Notre-Dame de Paris fut anéanti sous la Révolution, les objets les plus précieux furent sauvés de l’incendie de 2019 grâce aux pompiers, leur aumônier le père Fournier, Mgr Chauvet, alors recteur de la basilique, ou encore Laurent Prades, intendant de la cathédrale. Des objets inventoriés en 1343 et 1416, il ne reste rien. Oh bien sûr, il fut bien vendu ou fondu quelques pièces jusqu’en 1789, mais sans altérer ce qui comptait néanmoins parmi les plus riches de France.

Dès 1804, la remise de plusieurs Saintes Reliques de la Passion, préalablement conservées à la Sainte-Chapelle, marqua le début de la reconstitution du Trésor. Il y eut encore des dégradations lors des émeutes de 1830 et du sac de l’évêché l’année suivante. Jean-Baptiste Lassus et Eugène Viollet-le-Duc sauvèrent ce Trésor en reconstruisant, dès 1849, la sacristie pour lui donner un aspect cohérent pour l’architecture, l’aménagement et l’orfèvrerie. Sa finalité était, et est encore, de préserver les objets précieux du culte et leur caractère sacré. Outre les objets servant à la célébration de la messe, le Trésor conserve les attributs propres aux évêques : mitres, crosses et anneaux, ainsi que des croix de procession, de nombreux crucifix, les vêtements liturgiques, sans oublier les reliquaires et les statuettes. Le bien le plus précieux reste sans doute le reliquaire de la Couronne d’épines, cette dernière étant à l’origine abritée dans l’admirable écrin qu’est la Sainte-Chapelle.

Le Trésor de Notre-Dame de Paris compte environ 2 000 objets uniques. Certains d’entre eux avaient été, dans les années 2000, repliés dans les réserves du musée Carnavalet, ce qui les a épargnés du sinistre. Transportés au Louvre, ils ont ensuite été mis en sécurité à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, dans les bâtiments du ministère de la Culture à Charenton-le-Pont et ne devront en sortir que pour intégrer un musée de Notre-Dame de Paris. On ne peut que se souvenir des paroles de Victor Hugo, le meilleur chantre de la basilique : « Sans doute, c’est encore aujourd’hui un majestueux et sublime édifice que l’église de Notre-Dame de Paris. Mais si belle qu’elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s’indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument. »

Dans ce contexte d’année décisive pour Notre-Dame de Paris, le musée du Louvre mettra à l’honneur de sublimes reliques du Trésor à partir d’octobre 2023, comme un voyage à travers le temps !

La Société des amis de Notre-Dame de Paris

Devenez les ambassadeurs de l’histoire de la cathédrale


Le gigantesque chantier de restauration de Notre-Dame de Paris et l’avancement rapide du chantier ne font pas oublier le puissant mouvement de rassemblement populaire autour des ruines calcinées à partir du printemps 2019. Parmi les principaux acteurs, la société des amis de Notre-Dame de Paris s’est trouvée portée au premier plan lors des discussions parlementaires et des débats sur les partis de restauration : elle est aujourd’hui présente dans le conseil scientifique de l’établissement public chargé de la restauration de la cathédrale. Depuis sa création en 1939, elle n’a cessé de jouer un rôle important dans les évolutions qui ont affecté la cathédrale et dans l’accueil du public.

Quelques mots d’histoire. En 1939, Marcel Aubert, éminent historien de l’art du Moyen Âge, professeur à l’École des chartes et à l’École du Louvre, membre de l’Institut, entreprend de créer la Société des amis de Notre-Dame. Le cardinal Verdier, archevêque de Paris, plusieurs membres de l’Institut et de l’administration des Beaux-Arts, diverses personnalités du monde intellectuel en font partie. Au lendemain de la guerre, la société amasse un ensemble considérable d’archives, de documentation et d’œuvres d’art sur l’histoire de Notre-Dame depuis sa fondation jusqu’à nos jours. Elle s’attache à en faire la présentation dans un bâtiment appartenant à l’archidiocèse de Paris, rue du Cloître Notre-Dame, à deux pas de la cathédrale. En 1963, elle se montre très active par le truchement de l’un de ses membres, l’inspecteur principal des Monuments historiques Pierre-Marie Auzas, lors des travaux qu’André Malraux décide pour marquer le huitième centenaire de la cathédrale et des expositions qu’elle organise à cette occasion.

Les choix immobiliers de l’archevêché de Paris conduisent au repliement dans les années 2000 des collections vers les réserves du musée Carnavalet vers le Trésor de la cathédrale : elles s’y trouvaient au moment de l’incendie de 2019. Elles sortent indemnes du sinistre et sont mises en sécurité à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie, dans les bâtiments du ministère de la Culture à Charenton-le-Pont. Elles en sortiront lorsqu’un musée de Notre-Dame, que la société appelle de tous ses vœux, aura été créé à l’instigation du gouvernement.

Dans l’immédiat, la société prête généreusement quelques-unes des œuvres qu’elle possède, non seulement au musée Carnavalet, mais aussi au musée du Louvre en prévision d’une prochaine exposition sur Notre-Dame de Paris. Elle s’emploie à faire restaurer des peintures et œuvres d’art et accepte volontiers que certaines d’entre elles soient reproduites dans des ouvrages d’histoire de l’art.

Elle organise sous la houlette des plus grands savants des conférences à l’intention de ses membres sur des sujets concernant l’histoire et le patrimoine artistique de Notre-Dame, voire sur des questions d’actualité ainsi que des visites : Mme Isabelle Le Masne de Chermont, directrice du département des manuscrits à la Bibliothèque nationale, a présenté en décembre 2022 un très précieux cérémonial du XVIe siècle provenant de Notre-Dame que la Bibliothèque a récemment acheté sur le marché.

La Société des amis de Notre-Dame reçoit des dons et des legs. Elle ajoute à ces ressources la cotisation de ses membres (à partir de 30 euros). Elle délivre un reçu fiscal « au titre des dons à certains organismes d’intérêt général ». L’adhésion est libre et n’impose pas une procédure de parrainage : les connaissances qu’elle dispense et les actions qu’elle conduit pour la sauvegarde du patrimoine de Notre-Dame sont ouvertes à tous.

Jean-Michel Leniaud, président de la Société des amis des Notre-Dame de Paris.

 

Le siège social de la société est situé 4, avenue Percier, 75008 Paris.

Pour devenir, membre, merci de cliquer sur le lien suivant.

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site.

 

 

Festa Candelarum

Le 2 février, petits et grands célébreront la Chandeleur en confectionnant des crêpes qu’ils s’amuseront à faire sauter dans une poêle. Rite païen ou fête religieuse, cette tradition incarne la lumière et la prospérité, et porte en elle des croyances, qui peuvent valoir de l’or. 

 

 P. de Champaigne, La présentation au Temple, huile sur toile, 1628 © Musée des Beaux-Arts de Dijon, F. Jay

La Chandeleur vient du mot latin « Festa Candelarum ». Sous l’Antiquité, cette Fête des Chandelles célébrait Pan, le dieu de la fécondité. Le 15 février, dernier mois du calendrier romain annonçant le retour du soleil et le rallongement des jours, des rites païens de purification de la ville et des champs, destinés à raviver la fertilité, se succédaient, à minuit, à la lueur des flambeaux. Les paysans confectionnaient des crêpes avec les restes de farine de la récolte passée. De la même manière, lors des Lupercales, fêtes de la purification qui se déroulaient à Rome du 13 au 15 février, les Vestales, prêtresses de la déesse Vesta, faisaient offrande de gâteaux de blé.

 En 472, le Pape Gélase Ier christianisa ces coutumes. Il organisa une cérémonie aux chandelles le 2 février, soit 40 jours après Noël, date commémorant la présentation de Jésus au Temple de Jérusalem et la purification de la Vierge Marie lors des relevailles. Les croyants allumèrent des cierges bénis destinés à conjurer le sort, et des crêpes, rondes et dorées comme le soleil, furent distribuées aux pèlerins arrivant à Rome.

 Depuis, la Chandeleur est toujours célébrée le 2 février, et la tradition de préparer des crêpes a perduré. Les croyances et autres superstitions, aussi ; parmi elles, celle attribuant au Louis d’Or le pouvoir d’apporter abondance et prospérité. Elle remonte au Moyen-Âge. Les paysans se mirent à préparer les crêpes avec la farine invendue de l’année précédente selon une pratique singulière : en faisant sauter la première crêpe de la main droite, tout en serrant, dans la main gauche, une pièce en or. 

Le Louis d’or, émis sous Louis XIII en 1640, devint une pièce de prédilection. Symbole de richesse, elle était placée au cœur de la crêpe, que l’on déposait en haut d’une armoire pour la reprendre à la Chandeleur suivante et l’offrir à la première personne démunie que l’on rencontrait. La récompense était de vivre une année prospère. Ce rite se perpétue aujourd’hui dans certaines familles, avec un Louis d’or ou un Euro.

Louis XVI, un roi érudit

C’était un 21 janvier, il y a 230 ans… et pourtant nombre d’auteurs et de réalisateurs se penchent toujours sur la vie de Louis XVI. Des œuvres qui, de plus en plus, participent à la réhabilitation d’un personnage plus complexe qu’il n’y paraît.



N. Monsiau, Louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse © WK.

 

Pendant longtemps, par une méconnaissance voulue ou non de l’Histoire, les cinéastes ont fait de Louis XVI un homme sans relief. Pour dire simple : petit, gros et bêta. Cette mauvaise image n’est pas seulement née de l’imagination partiale d’auteurs davantage antimonarchiques que républicains, comme Michelet ou Thiers. Elle a d’abord été véhiculée par la propagande du parti lorrain. Mais c’est oublier qu’il était un colosse. Il suffit de déplier le patron du manteau de son sacre, conservé aux Archives nationales, sur lequel figurent les dimensions exactes du vêtement : le roi mesurait environ 1,90 m.

Si la taille révélée de Louis XVI ne change pas le cours de l’Histoire, elle donne la mesure de ce que l’on appelle aujourd’hui la désinformation. Car, devant une telle allure, l’homme ne pouvait manquer d’une certaine prestance. Était-il alors emprunté ? Quand on chasse à courre plusieurs fois par semaine, le grand air et le sport donnent de l’aisance dans les mouvements. L’image de Louis XVI n’est donc pas celle que l’on a souvent voulu donner.

Il faut savoir qu’outre le latin, il lisait couramment l’anglais et l’italien et avait des notions d’espagnol. En géographie, il était capable de faire des relevés sur le terrain et d’en tirer une carte originale. Il était le seul, parmi les princes, à savoir commander correctement les évolutions d’un régiment de cavalerie. Dès l’âge de douze ans, il travaillait sur L’Arithmétique et la géométrie de l’Officier. Il composa un petit traité de « Réflexions » inspirées par ses entretiens avec M. de La Vauguyon, son précepteur. Les règles de diplomaties et de stratégie décrites dans ce document seront suivies jusqu’au moindre détail durant la guerre d’Amérique. Sa passion pour l’horlogerie et la serrurerie était liée à son intérêt pour les sciences. Il faut savoir que tous les princes devaient apprendre un métier manuel.

En définitive, s’il était un reproche à faire à Louis XVI, ce serait sans doute ce constat établi par l’un de ses biographes : « Le Dauphin déborde de savoir, ignore le savoir-faire et plus encore le faire savoir ».

Femme ou épouse ?

Une charmante réception, d’aimables présentations et voilà un mari annonçant « son épouse »… Mais alors, nous aurait-on mal appris les usages ? Pour répondre à cette épineuse question, nous avons mené l’enquête et soumis le sujet à un spécialiste de la langue française. Voici sa réponse.

L’un de mes amis avait banni de son vocabulaire les jolis diminutifs que l’on réserve généralement à celle pour laquelle on éprouve les plus beaux sentiments. Il l’appelait simplement « ma femme ». Qu’elle soit amante ou épouse, pour lui, elle était « ma femme ». Cette marque de possession n’était qu’apparente, mais choque les bons esprits d’aujourd’hui pour lesquels la « femme » est libre tandis que « l’épouse » est retenue par des liens – du mariage bien sûr. Mais à l’inverse, la femme ou l’épouse, nous n’osons pas dire la concubine qui a un parfum commun, n’a pas d’autre choix que d’opter pour « mon mari ». « Mon homme », en l’occurrence, fait songer à une chanson célèbre qui fit les beaux jours de Mistinguett.

Ce manque de douce appellation masquée par « mon mari » signifie-t-il que la dame ne serait pas amoureuse de son… doux. Il est vrai que les statisticiens, qui voient davantage les chiffres que les sentiments, assurent que les hommes offrent, à l’occasion de la Saint-Valentin, en majorité des fleurs à « une femme » plutôt qu’à une épouse. D’ailleurs, si l’on écoute Serge Reggiani, on entend : « la femme que j’ai dans mon lit n’a plus vingt ans depuis longtemps », et non « l’épouse que j’ai dans mon lit ». Pendant longtemps, on a cru que l’épouse signifiait soumission alors que, comme l’époux, sa définition appartient à la langue juridique ou administrative. Le mot vient du latin sponsio (promesse solennelle, engagement, parole). Les époux sont donc un état, on y décèle dans ce terme peu de sensualité. L’appellation « ma femme », usée par mon ami vis-à-vis de son épouse sur le papier, manifeste toute sa tendresse pour elle.


D’ailleurs, on dit bien à son fleuriste composant un bouquet : « C’est pour ma femme ! »

L’Épiphanie ou l’enfance de l’art

Jusqu’au IVe siècle, l’Épiphanie et la Nativité se confondent et se célèbrent le 6 janvier. C’est dire l’importance de cette apparition de l’Enfant-Dieu aux mages venus se prosterner devant Lui. De quoi inspirer d’emblée aux artistes l’un des thèmes les plus populaires qui soient.

P.-P. Rubens, L’Adoration des mages, 1609 © WK.

Epiphaneia. Le mot vient du grec et signifie apparition. Saint Matthieu, seul des quatre évangélistes, mentionne des mages venus d’Orient. Ils « entrèrent dans la maison, virent l’Enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils l’adorèrent ». Ces versets auront marqué au plus profond l’Église primitive. Car les mages, représentants des peuples de la terre, attestent les premiers que le Sauveur a pris chair et qu’il est descendu parmi nous.

Ils donnent la fièvre aux théologiens : Tertullien, au IIIe siècle, voit en eux des rois. Origène détermine le nombre de trois rois mages puisque Matthieu précise qu’ils portent au Christ nouveau-né l’or, l’encens et la myrrhe, symboles respectivement du pouvoir royal, de la fonction sacerdotale et du sacrifice à venir sur la Croix, la myrrhe servant à l’embaumement. Au VIe siècle, L’Évangile arménien de l’enfance, écrit apocryphe, mentionne les noms de Gaspard, Melchior et Balthazar. L’identité de nos rois mages se précise.

Même s’ils n’ont pas attendu si longtemps pour avoir leurs représentations dans l’art. Les plus anciennes à être parvenues jusqu’à nous remontent à la fin du IIIe siècle et se situent dans les catacombes de Priscille, à Rome. Peu après, les mages apparaissent sculptés sur des sarcophages chrétiens, leurs offrandes évoquant métaphoriquement le don de l’âme du défunt à Dieu.

De plus en plus s’impose la portée universelle de la trinité des mages. Ils figurent les trois parties du monde alors connu, l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Balthazar est d’ailleurs représenté avec le visage noir à partir de 1460. Ils évoquent aussi les trois âges de la vie, le vieillard Melchior étant celui qui est prosterné au plus près du Nouveau-né.

Ainsi, tout est en place pour que l’Épiphanie devienne l’un des thèmes les plus populaires de l’art chrétien, à travers les monuments, comme le chapiteau de la cathédrale d’Autun, ou la peinture, de Giotto, en 1305, avec sa fresque de la chapelle Scrovegni de Padoue, à Tiepolo en passant par Mantegna, Dürer ou Rubens qui a peint plus de dix versions de L’Adoration des mages.

Le sacré dévie au Pays-Bas, au XVIIe siècle, et Jacob Jordaens peint à diverses reprises le thème du roi haricot ou du roi boit, représentant une gargantuesque réunion de famille autour de la galette des rois et de la fève. La littérature s’empare à son tour des mages, que ce soit dans le poème Épiphanie, de José-Maria de Hérédia, ou dans le roman Gaspard, Melchior & Balthazar, de Michel Tournier. Sans oublier la culture pop avec la chanson Les Rois mages de Sheila, tube absolu de l’année 1971.

L’étoile du Berger n’a pas fini d’illuminer le monde.

Comme le disait George Brummel

La soirée du Réveillon serait-elle désormais la seule au cours de laquelle, les hommes – et les femmes, cela elles le savent – apparaissent habillés avec élégance. Mais comment y parvenir ? Deux ou trois petits conseils devraient permettre aux messieurs de se vêtir au mieux afin de passer une excellente soirée et entrer dans l’année nouvelle.

Devant la garde-robe, portes grandes ouvertes – ce qui indique une certaine surface – l’élégante, la mine confite, contemple les cintres surchargés de robes. « Comment vais-je m’habiller pour la soirée du réveillon », se demande-t-elle ? La rengaine est connue : « Je n’ai rien à me mettre ! » L’homme amoureux ou compatissant saura remédier à cette épouvantable crainte. Comme la dame d’ailleurs qui, grâce à quelques artifices, alliera l’ancien et le neuf et d’un coup de baguette magique sera plus ravissante que Cendrillon même au-delà de minuit.

On imagine difficilement l’homme dans une telle situation. Et, pourtant, il y en a. Cela est beaucoup plus malaisé pour certains membres de la gent masculine, qui par un curieux mimétisme dans le laisser aller, ont jeté aux orties, cravates, chemises au col bien repassé, costume encore taillé, et chaussures en cuir, au profit de cols avachis, et de baskets. « Comment vais-je m’habiller pour le réveillon, je n’ai rien à me mettre ? » se demande l’homme qui se veut décontracté.

Le plus audacieux, malgré tout pas très sûr de lui, ira se procurer un smoking de couleur, rouge, vert ou argent, qu’il agrémentera d’une chemise blanche au col amidonné sans rabat. Le plus classique ressortira de sa housse l’authentique smoking noir au châle bleu ou l’inverse. Poussant plus loin son courage, il fouillera dans une vieille boîte afin de retrouver un noeud papillon
aux couleurs de son cercle. Reste le plus audacieux. Celui-ci enfilera simplement son costume bleu foncé coupé sur mesure, par-dessus une chemise bleu ciel ou blanche au col français ou italien, ornée par une cravate en soie aux nuances bleues, sans oublier la pochette au coloris contraire, bordeaux piqueté d’orange par exemple.

« Oh, quel ennui ! » dit l’homme « dans le vent ». N’est-ce pas George Brummel qui disait que « la véritable élégance consiste à ne pas se faire remarquer » ?

Chante le berceau

Pauline, petite fille curieuse, aime caresser les objets et apprendre d’où ils viennent. Dans une large vitrine installée dans le salon de la vieille maison familiale, un objet attire particulièrement son attention. Elle est incapable de le définir.


Il pourrait être une cathédrale en miniature, avec ses colonnes tarabiscotées et ses petites statues juchées dessus. Entre celles-là, repose une sorte de banquette, un lit peut-être, le tout est posé sur un socle d’où s’échappe à chaque angle un animal. Est-ce un lion ou un mouton ? Il lui paraît curieux d’hésiter entre ces deux-là dont la principale occupation est de sauter sur l’un, tandis que l’autre fuit. Cet objet bizarre est tout doré, il doit être précieux pour avoir été exposé ainsi dans la vitrine du salon, au-dessous d’une collection de timbales en argent. Pour Pauline, cet assemblage de l’argent et du doré jure un peu. Mais, il s’agit des trésors de Grand’Ma, et ils sont sacrés.

Tandis que les plus petits aident leur grand-mère à décorer le sapin, l’enfant jette des regards vers la vitrine. Des cartons encombrent le tapis du salon. Des guirlandes et des boules semblent se battre entre elles avant qu’elles ne soient séparées par des petites mains avides qui les déposent ou les accrochent dans les branchages. La porte de la vitrine à demi-dissimulée par les branches de l’arbre est bien fermée et… sans clef. Car la demoiselle a pris une décision qui ne sera peut-être pas sans conséquence. Elle attendra le moment favorable et ouvrira cette porte afin de toucher et examiner de plus près cette mini-cathédrale mystérieuse. Pas facile, sans clef. Celle-là ne devrait pas être rangée bien loin. « Que regardes-tu ainsi fixement ? » lui demande Grand’Ma, la tirant de ses rêveries et la faisant sursauter. « Rien, rien ! » — « Hum, pas si sûr », fait alors l’aïeule avec un léger sourire.

La nuit est tombée depuis longtemps, dehors, quelques flocons égarés dessinent des tourbillons sur la pelouse. Les enfants sont montés se coucher. Les adultes, réfugiés dans la bibliothèque, autour de la cheminée dans laquelle craquent une ou deux bûches, goûtent le dernier cocktail concocté par Hadrien, au son d’une musique qui fait grincer les dents de Grand-Pa. — « Tiens, il neige, dit une voix, proche de la porte-fenêtre » — « Ce n’est pas une surprise, c’est la période de Noël », dit une autre. « Ne pourrais-tu pas mettre une musique plus douce ? » demande Emmanuel, à moins que cela ne soit Bérénice. Le DJ familial s’exécute, et, le temps de chercher un nouveau morceau, le silence s’installe dans la pièce.

Chacun se regarde comme saisis par un sort étrange. La chute de neige a pris de l’intensité. La nuit est striée de flèches claires. Les flammes dans l’âtre se promènent sur les bûches à demi calcinées, sans provoquer de craquement. Les mains serrent les verres sans les élever vers les lèvres. On sent la maison respirer, vivante de chacun des membres de la famille. Soudain, une musique cristalline résonne depuis le salon voisin. Grégoire, Monsieur DJ, suspend son geste, laissant la platine tourner à vide. Tous écoutent, sans oser faire un geste voire un commentaire. La mélodie serait céleste qu’ils n’en seraient pas surpris. Les notes sautillent joyeuses puis flottent avant de revenir vers une sarabande joyeuse. Nul ne saurait retenir l’air de cette courte sonate. Ne vient-elle pas d’ailleurs ?

Grand-Pa, le premier se libère de cet envoûtement, se lève suivi par tous et se dirige vers la porte menant, après le corridor, vers le salon. Il ouvre doucement le premier battant, la musique libérée retentit plus fort. Il pousse discrètement le vantail et, stupéfait, voit tous les petits enfants, agenouillés en demi-cercle autour de la table basse sur laquelle a été posée ce que l’on a pris de nommer « la petite cathédrale ». Il l’avait découverte, il y a bien des années, chez un antiquaire à Anvers. Élisabeth, sa femme, avait été fascinée par cet objet qui avait traversé les siècles avant de rejoindre la maison.

La petite Pauline, avertie par le changement d’atmosphère, se retourne et voit sur le seuil de la porte du salon, les visages plus stupéfaits que mécontents des adultes. « — Voilà, dit-elle de sa petite voix flûtée, pardon Grand’Ma, je voulais toucher la petite cathédrale. Je cherchais la clef afin d’ouvrir la vitrine. Et soudain, elle s’est ouvert toute seule. Si, si je te jure. Toutes les dorures se sont mises à briller très fort. J’ai presque eu peur ; mais une toute petite musique très douce a retenti lorsque j’ai pris dans mes bras la petite cathédrale. Je l’ai posée sur la table basse et l’ai caressée et regardée. C’était beau. Et je l’ai vu ! Regardez-le, comme il est mignon. C’est Jésus qui est descendu et s’est allongé dans le petit lit entre les colonnes. Il m’a souri et fait un signe. J’ai compris qu’il me disait d’aller chercher mon frère et les cousins. On a récité, tout heureux, une prière devant lui, et chacun, à notre tour, nous avons caressé sa main et sa joue, à chaque fois, il nous adressait un sourire et la musique sonnait ».

Grand’Ma serre ses petits-enfants contre elle. Le berceau de Noël se balance doucement et continue de jouer sa mélodie. L’Enfant-Jésus, car c’est bien Lui, un doux sourire sur les lèvres, lève sa main, puis... regagne la crèche.

Un Noël en noir et blanc

Noël est blanc. Il s’habille de neige, se couvre d’hiver. Le manteau du Père Noël ajoute une tache de rouge au tableau. Il y a aussi le vert du sapin. Bientôt les paquets éventrés, le papier multicolore roulé en boule et les rubans de satin entortillés comme des serpents.

F. Capra, La vie est belle, 1946

La période se rythme au son des cloches qu’on agite au bout d’un manche en bois. Elle réclame une certaine majesté et une très nette envie d’enfance. Les villes prennent soudain des airs de Laponie. Les songes descendent de leurs montagnes. Les braises somnolent dans l’âtre. Il gèle trop pour sortir. C’est l’occasion de fouiller dans les piles de DVD, d’éplucher les programmes du câble.


On a l’embarras du choix. On soulève un couvercle et on découvre plein de petites choses sans importance mais si essentielles. Le Père Noël, ce vieillard folklorique qu’on imagine chassant le loup à bord de son traîneau, a inspiré les réalisateurs. Une séance à domicile est la bienvenue. Cela repose le foie qui en a bien besoin. La famille se pelotonne sur le canapé. L’écran brille de lumière
dorée. Il s’y récapitule des sourires purs et des regards mouillés – on ne sait si c’est à cause du froid ou de l’émotion.


Tout le monde se réconcilie autour du « Père Noël est une ordure ». On connaît les répliques par cœur. Les fous rires couvrent les dialogues. Thierry Lhermitte dit « C’est cela ». Anémone lui offre une serpillière – pardon, un pullover. Au téléphone, des solitaires menacent de se suicider. Ils auraient tort. Cela les empêcherait de revoir « La ville est belle » de Frank Capra où un ange surgi du ciel sauve James Stewart du désespoir. Le programme des festivités se complète avec « Miracle sur la 34e rue » où un magasin new-yorkais embauche sans le savoir le vrai Père Noël. Comme chez Dickens, chaque fois, l’inattendu arrive.


Les « Gremlins » sont toujours aussi odieux. Surtout, ne pas les asperger d’eau et se méfier d’eux après minuit. Les adultes retrouveront leurs huit ans avec « L’étrange Noël de Monsieur Jack », touchante histoire de marionnettes qui a inspiré Tim Burton. On voit par-là que le Père Noël a une adresse : Hollywood. C’est là qu’il faut lui envoyer ses lettres. Le paradis défile en 24 images-seconde, dans des décors de carton-pâte.

Le cinéma, plus que jamais, est le refuge du lyrisme et de l’innocence. On y vérifie que l’illusion est reine. Il n’y a pas de plus belle nouvelle à annoncer.


Léger rectificatif : finalement, Noël est en noir et blanc. Faites passer.

Je suis, j’y reste

Dans un ouvrage composé des mots consacrés à la noblesse, à la rubrique : « faux noble », il est écrit : « ne connaît pas ». La friandise particulaire, comme le soulignait Saint-Simon, est toujours convoitée. Les geais louchent toujours sur la parure du paon.

 

M.Okyo (1733–1795), Paons © WK.


Le paon, ce volatile qui appartient à une sous-espèce de la famille des Phasianidés, est – le croirions-nous – cousin de la pintade. Cette parenté n’enlève rien ni au premier ni au second. Leur carte de visite est authentique et nul ne pourrait s’aviser de les déclasser. Ils sont des Phasianidés, comme certains humains sont La R… ou C… L… Bien sûr les cris du paon, que l’on peut juger sans l’offenser comme étant intempestifs, sont supportés en considération de son plumage. Tournant dans tous les sens sa petite tête couronnée, cet oiseau si beau semble dire à ceux qui le contemplent : « Je suis, et c’est ainsi ». Quant à la pintade, elle vit tranquillement sa vie, cacabant et picorant çà et là sa subsistance, se méfiant tout de même d’un chasseur qui la prendrait pour une de ses sœurs mitrées.

On sait que le geai, sous-ordre des corvidés, demeure en complète admiration devant le paon si élégant, pourvu d’une couronne et d’un si luxuriant manteau. Il est bien tenté de l’imiter, ignorant que la couronne est en réalité une aigrette. Quant au manteau, en fait une roue, son envers est sans couleur. Pire encore, il se fane régulièrement et son propriétaire l’abandonne sans regret pour un nouveau identique.

Quoi qu’il en soit, le geai, parfois, récupère ce plumage abandonné, se l’accommode, et, comme l’a raconté La Fontaine, « Parmi d’autres Paons tout fier se panade ». L’illusion ne dure qu’un temps, « le beau personnage » qu’il croit être trébuche, est reconnu comme un geai, « se voit bafoué, berné, sifflé, moqué, joué ». Ce n’est pas tout à fait vrai parmi les humains, car les Phasianidés bien élevés poussent la courtoisie à ne rien dire, se contentant, la roue bien faite, de se détourner et de présenter au « suiveur » un tubercule musculo-glandulaire support de ses rectrices. Ce qui signifie que ce croupion-là porte les plumes chamarrées et que nul ne pourra, quoi qu’il fasse, se les approprier.

Dans les salons, le paon majestueux et un brin agaçant lance son cri. On pense entendre « Léon, Léon », alors qu’il dit simplement : « Je suis, j’y reste ».

Que serait Noël sans chocolat ?

Fève sacrée des dieux mayas, le cacao est devenu au fil du temps synonyme de douceur et de plaisir, mais connaissez-vous l’histoire qui se cache derrière un simple carré de chocolat ?

J.-B. Charpentier le Vieux, La famille du duc de Penthièvre, dit la tasse de chocolat, 1768 © Flickr

Offert à Cortés au Mexique au début du XVIe siècle sous la forme d’une boisson locale du nom de « Tchocolatl », le cacao est issu du cacaoyer (Theobroma cacao) de la famille des Sterculiacées, un arbre d’Amérique du Sud haut de 4 à 10 m qui a besoin d’un climat chaud et humide pour pousser. La fève de cet arbre est rapidement introduite en Espagne. L’Occident ajoute du sucre et de la vanille dans le mélange afin d’en adoucir l’amertume.

Quand Marie-Thérèse d’Autriche se marie avec Louis XIV, elle apporte avec elle la mode de boire du chocolat chaud. L’usage de cette boisson est alors exclusivement réservé à la Cour et à l’aristocratie. Le chocolat est considéré comme un aliment de plaisir mais aussi médical. Il est digestif, stimulant, aphrodisiaque entre autres vertus.

Avec le développement technique du XIXe siècle, une véritable industrie du chocolat se met en place. Les grandes chocolateries, qui deviendront des marques célèbres, comme Suchard ou Cadbury, redoublent d’inventivité pour faire face à la concurrence et populariser cette confiserie : Menier invente la tablette à barres semi-cylindriques, Van Houten crée le chocolat en poudre, Nestlé se lance dans le chocolat au lait, Lindt perfectionne la technique du « conchage » qui permet de donner au chocolat un aspect plus fondant en affinant les particules du cacao mélangées à des émulsifiants.

Cette industrie est le fruit de nombreuses et fascinantes étapes depuis les pays producteurs de fèves jusqu’à la sortie de la chocolaterie. Tout commence par la récolte des cabosses du cacaoyer au printemps et à l’automne. Chaque cabosse contient entre vingt à cinquante fèves. Ces fèves sont extraites lors de l’écabossage. Ensuite, elles sont mises à fermenter plusieurs jours pour que l’arôme du chocolat se déploie, puis elles sont séchées au soleil ou dans un four avant d’être exportées vers les pays consommateurs. Quand les fèves arrivent dans les usines, elles sont nettoyées, concassées afin d’en extraire l’amande. C’est dans cette amande que l’on trouve la théobromine et le beurre de cacao. Pour diminuer l’humidité et augmenter leur qualité gustative, les amandes sont torréfiées puis broyées dans le but d’affiner les brisures. Ces brisures passent ensuite par une étape de mouture dont il résulte une pâte liquide. On y mêle du
sucre, du beurre de cacao et une émulsion. Enfin, la pâte est versée dans un moule et mise à refroidir pour rendre le chocolat brillant et cassant. Précieusement emballé, il rejoint le rayon des pastilles, friandises et confiseries pour séduire les clients.

Qui ne serait pas séduit par cette prodigieuse inventivité humaine de parvenir à extraire d’une simple cabosse une si grande variété de réjouissantes douceurs ? De quoi suivre d’autant plus volontiers le précieux conseil de François de La Rochefoucauld : « Aimez le chocolat à fond, sans complexe ni fausse honte, car rappelez-vous : “ sans un grain de folie, il n’est point d’homme raisonnable ” ».

Au jour d’aujourd’hui

Il est une formule bien souvent employée et qui reste malgré tout très curieuse, « au jour d’aujourd’hui ». Et pourquoi pas, soyons fous, « Au jour du jour de ce jour » ? Retour sur ce pléonasme…

A.H. Dargelas, Le tour du monde © Flickr

 

Le pléonasme, puisqu’il s’agit de lui, est un terme qui ajoute une répétition à ce qui vient d’être dit. Exemples : « reculer en arrière », « pondre un œuf », « au grand maximum », « panacée universelle », « monopole exclusif », « prévoir d’avance », « sortir dehors », ou mieux, « avoir un futur projet » avec un « proviseur de lycée », père de « deux jumeaux » et fan de « samba brésilienne » !

Il y a des pléonasmes légitimes et d’autres qui sont totalement inutiles. Comme aujourd’hui, paraît-il autorisé, qui en est déjà un. Mais par qui ? Formé de « au jour » et de « hui », du latin hodie (ce jour), il signifie donc « au jour de ce jour ». Au jour d’aujourd’hui est donc un double pléonasme et on est en droit de s’étonner que le grand Lamartine l’utilise dans Les Méditations : « Dans ce cercle borné, Dieu t’a marqué ta place, l’univers est à lui et nous n’avons à nous que le jour d’aujourd’hui. ». C’est un peu comme si on disait « à demain demaind’main » ou « hier hier d’hier ». Ce goût de la répétition conduit même certains à employer la formule à l’heure d’aujourd’hui. Halte-là !

Reste à savoir si ce « dernier baroud d’honneur » servira à quelque chose. Il y a pourtant assez d’expressions aussi efficaces qui signifient la même chose. « De nos jours », « à notre époque » ou encore « actuellement », nombreuses sont les possibilités qui s’offrent à vous et qui devraient suffire à ravir l’oreille de votre interlocuteur.

Larguez les amarres !

La 12e édition de la Route du Rhum est sur le point de larguer les amarres. La reine des courses transatlantiques en solitaire nous promet de nouvelles aventures humaines extraordinaires. 

L’invraisemblable arrivée de la Route du Rhum 1978, où Mike Birch s'impose pour à peine une minute trente © Flickr  

Le 6 novembre, 138 skippers – une participation record – de six catégories de bateaux différentes prendront le large pour une traversée de l’Atlantique à la voile en solitaire. Une course contre vents et marées et contre la montre commencera pour parcourir les 3 542 milles (6 562 km) reliant Saint-Malo à Pointe-à-Pitre. L’un d’eux parviendra-t-il à battre l’exploit de Francis Joyon, arrivé vainqueur, en 2018, en 7 jours 14 heures 21 minutes et 47 secondes ?

La Route du Rhum est un hymne à la liberté imaginé par le publicitaire parisien Michel Etevenon, en 1978,  en réponse à la Transat Anglaise de 1976, qui limitait la taille des bateaux. Le nom de cette course est l’idée de Bernard Hass, secrétaire général du Syndicat des Producteurs de Rhum des Antilles, qui souhaite alors en relancer la filière. L’épreuve française, prévue tous les quatre ans, accueille professionnels et amateurs ; monocoques et bicoques de toute taille. Dès cette première édition, s’élancent, sur une même ligne et au même moment, 38 marins. Certains entreront dans la légende : Mike Birch, Alain Colas, Michel Malinovsky, Florence Arthaud, Olivier de Kersauson, Philippe Poupon, Bruno Peyron, Marc Pajot. Éric Tabarly les rejoindra en 1982.

La bataille est rude et les conditions météorologiques, parfois désastreuses. L’œil du cyclone des Açores, notamment, guette sans pitié les navires. La Route du Rhum devient une course mythique, pour le meilleur et pour le pire. 1978 marque à la fois la victoire du petit trimaran de Mike Birch qui devança de 98 secondes le monocoque de Michel Malinovsky, pourtant arrivé en tête en Guadeloupe mais dépassé sur la fin, et la disparition d’Alain Colas, pris dans un typhon à bord du célèbre Manureva. Huit ans après, Loïc Caradec disparaît à son tour. Son ami Philippe Poupon, arrivé avec 48 heures d’avance sur ses concurrents, lui dédiera sa victoire. 

1990 consacre Florence Arthaud, première femme à remporter la course, au bout de 14 jours 10 heures et 8 minutes, bien que coupée d’électronique et de communication à partir des Açores. En 1998, on se passionne pour la jeune anglaise Ellen MacArthur, qui parvient à surmonter les problèmes techniques de son monocoque de 50 pieds (plus de 15 m) et finit par gagner dans sa catégorie. Laurent Bourgnon est le seul à avoir remporté deux Routes du Rhum, en 1994 et 1998. 

Prendre la mer force l’homme à la plus grande humilité, face aux éléments, face à sa propre petitesse. C’est sans doute avec une pensée toute particulière pour Mike Birch, décédé tout récemment, que les skippers s’élanceront dimanche dans cette nouvelle course. 

Quelque chose en nous du prix Goncourt

Alors que les quatre heureux finalistes du Goncourt viennent d’être annoncés, le Bottin Mondain a eu envie de revenir sur ce prix, l’un des grands moments de la vie littéraire française. Et vous n’imaginez sans doute pas à quel point des liens nous unissent.

Edmond de Goncourt, Nadar © Flickr

À l’origine de cet événement annuel tant attendu, le testament d’Edmond de Goncourt. Son idée est simple : récompenser un auteur d’expression française par un prix de 5 000 francs financé par la vente de ses biens après sa mort. Il confie à son ami et exécuteur testamentaire, Alphonse Daudet, le soin de fonder l’Académie Goncourt. Cette dernière récompense pour la première fois un ouvrage en 1903, l’année même de la naissance du Bottin Mondain. Mais nos affections communes ne s’arrêtent pas là.

 Créé pour distinguer le « meilleur ouvrage d’imagination en prose », le Goncourt ne récompense presque exclusivement que des romans. « Beaucoup d’appelés, peu de lus », pour reprendre une expression d’Éric Neuhoff. Ce prix est un gage pour nous, lecteurs, de ne pas perdre notre temps. Il faut bien reconnaître au palmarès des ouvrages consacrés depuis plus d’un siècle qu’il forme un beau panorama de la littérature française. Mais le rapport avec le Bottin Mondain dans tout ça ? Patience, nous y venons…

 Nous avons tous en nous quelque chose d’un prix Goncourt, comme aurait pu l’entonner un célèbre chanteur. Ces livres revêtus de la mythique bande rouge ont un jour accompagné nos soirées, nos week-ends, nos vacances. Où et quand avons-nous découvert À l’ombre des jeunes filles en fleurs de Proust  ? Et tant d’autres auteurs passés à la postérité et dont on ne songe même plus à préciser le prénom tant ils nous sont familiers.

 Il y a aussi des lauréats que nous ne connaissons pas, sinon de réputation, des romans récents ou anciens dont la lecture pourtant s’impose à nous comme une évidence : ils font partie de leur temps, et sont nécessaires à sa compréhension. Pour revivre la guerre de 14-18, la lecture du Feu de Barbusse (1916) s’impose. Il y a aussi les « coups de cœur », comme Léon Frapié. Qui se souvient encore de lui ? Et pourtant, pourtant…

 Tous les noms que nous venons de citer ont un jour été présents dans les pages du Bottin Mondain. Vos parents, grands-parents, arrière-grands-parents en ont peut-être partagé les colonnes. S’ils font partie du patrimoine littéraire français, ils sont aussi un fragment de l’histoire de notre univers personnel, plus intime.

 À l’occasion du nouveau prix Goncourt, c’est donc à d’émouvantes retrouvailles et aussi à de magnifiques découvertes que nous vous invitons aujourd’hui. Ne vous privez pas de lire (ou relire) d’anciens lauréats qui, comme vous, ont participé à la grande fresque des familles du Bottin Mondain.

1904 - Léon FRAPIÉ, La Maternelle (Albin Michel)
1916 - Henri BARBUSSE, Le Feu (Flammarion)
1918 - Georges DUHAMEL, Civilisation (Mercure de France)
1919 - Marcel PROUST, À l’ombre des jeunes filles en fleurs (Gallimard)
1925 - Maurice GENEVOIX, Raboliot (Grasset)
1933 - André MALRAUX, La Condition humaine (Gallimard)
1938 - Henri TROYAT, L’Araigne (Plon)
1948 - Maurice DRUON, Les Grandes familles (Julliard) 

 

L’héraldique s’amuse sérieusement

La capacité héraldique n’est pas réservée. Elle est ouverte à tout un chacun pourvu que nul ne copie ou ne s’empare de ce qui est un signe d’identité. Les variations des images que l’on appelle « meuble » sont infinies et présentent souvent des figures amusantes voire surprenantes.

Geoffroy Plantagenêt (1113-1151), Église cathédrale de St Julien du Mans © Flickr.

Il semblerait que l’une des premières armoiries individuelles serait celle de Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, datée d’environ 1090 et que l’on peut voir dans la cathédrale du Mans. Son bouclier est décoré d’un semé de lionceaux. Selon l’héraldiste Adrian Strickland, ces signes de reconnaissance seraient apparus après la bataille d’Hastings qui vit en 1066 s’opposer les Saxons et les Normands, incapables de s’identifier sous leur accoutrement guerrier. Pour se faire reconnaître dans les mêlées des batailles et des tournois qui suivirent, les chevaliers prirent alors l’habitude de peindre des figures distinctives sur leur bouclier. De leur côté, les seigneurs-suzerains et chevaliers bannerets firent porter leur bannière, signe de leur droit féodal, ornée de marques distinctives.

On ne peut pas encore parler de blason. Ces marques furent d’abord des formes simples, géométriques, animales ou florales. Six couleurs — on ne disait pas encore émaux — s’imposèrent, réparties en deux groupes, d’un côté le jaune (or) et le blanc (argent), de l’autre le noir (sable), le rouge (gueules), le vert (sinople) et le bleu (azur). La règle voulait que ne soient pas juxtaposées deux couleurs d’un même groupe, pour une question de visibilité.

Michel Pastoureau, le maître incontesté en matière d’héraldique, le rappelle d’une manière très claire : « À la fois signe d’identité, marques de possession et ornements décoratifs, les armoiries ont pris place du XIIe au XIXe siècle, sur d’innombrables objets, monuments et documents à qui elles ont, ce faisant, apporté une sorte d’état-civil. » Les recueils de ces images que l’on appelle armoriaux offrent ainsi des séries de vignettes ornées qui, lorsqu’elles ne présentent pas de meubles géométriques, sont de véritables poèmes graphiques. On y voit par exemple un coq tout de rouge vêtu marcher sur une vague ou une onde. À quelle famille pourrait appartenir ces trois pieds sous un ciel étoilé ? Et ces sardines sagement rangées sur une nappe bleue ? Marteaux, haches, lances se mélangent ou côtoient cygnes, léopards ou lions, cerfs et même hirondelles. Nous pourrions croire que les hérauts d’armes ont trouvé tous les prétextes pour s’amuser. Tout leur était bon pour composer des rébus à l’aide de jeux de mots. Devinez : quelle maison désigne-t-on face à ce visage rempli d’yeux ou « d’œils » comme le disent les enfants ? Un mont d’or dans un écu fait songer à une anthroponymie.

Car si le langage de l’héraldique permet de décrire les blasons, il faut savoir que le blason parle, même indirectement par allusion. Les chaînes de Navarre rappellent, par exemple, l’exploit de Sanche VII qui entra en force dans le camp ennemi entouré de chaînes, restées accrochées à son bouclier. L’Autriche symbolise la tunique de Léopold V, duc de Badenberg, hissée à Saint-Jean-d’Acre, couverte de sang, sauf à la ceinture. Il reste que l’animal le plus décrié ou moqué en héraldique n’a jamais existé. Il s’agit de la merlette, ce petit oiseau morné, sans bec ni pattes qui, libéré des écus, remplirait bon nombre de volières.

Un café sans sucre, s’il vous plaît !

Saviez-vous que sans sa cafetière Balzac n’aurait certainement pas pu venir à bout de son œuvre La Comédie humaine ? Imaginez combien de rendez-vous, d’entretiens, de rencontres auraient perdu de leur saveur sans une tasse de café ? Plante intellectuelle, le café préside la vie sociale grâce à ses vertus stimulantes, au point d’être devenu l’une des boissons les plus consommées sur la planète.

Le Déjeuner, F.Boucher, 1739 © Flickr.

La découverte des bienfaits du café remonte au Moyen-Âge. Les légendes sont nombreuses autour de la « fève d’Arabie ». L’histoire raconte qu’un éleveur de la région de Kaffa, en Éthiopie, aurait vu ses chèvres manger les baies rouges du caféier et devenir soudain très dynamiques, stimulées par la caféine. Une fois jetées dans le feu, les baies auraient grillé en exhalant une bonne odeur. Elles auraient ensuite été réduites en poudre, infusées dans l’eau bouillante pour être transformées en boisson.


En pays musulman, les vertus du café sont progressivement reconnues pour permettre de rester éveillé le soir pour prier. Il devient le fruit d’un commerce florissant dans le monde arabe, notamment au Yémen où le « kawa » transite par le port de Moka, puis à Constantinople et au Caire. Il est introduit en Italie au XVIe siècle via les marchands vénitiens, avant de gagner la France, l’Angleterre, la Hollande et les colonies. Ces dernières sont particulièrement propices à sa culture, le coffea arabica – arbrisseau aux fleurs blanchâtres de la famille des Rubiacées – ayant besoin de chaleur et d’humidité pour pousser et donner ses graines appelées « cerises ».


À la différence des Anglais, qui lui préféreront le thé, le café devient la boisson française par excellence. Le Procope est le premier établissement de café à ouvrir à Paris en 1686. En France, l’on raconte que c’est Louis XIV qui en but la première tasse. Il est ensuite adopté par la Cour et la société aristocratique. Les cafés se développent à Paris où ces lieux de rencontre ont un rôle social. Ils symbolisent l’esprit français et le goût pour les échanges intellectuels.


Au XIXe siècle, la boisson se démocratise. Balzac écrit La Comédie humaine, animé par cette muse brune. Véritable bourreau de travail, l’écrivain buvait chaque jour des dizaines de tasses de café. Il relate dans son Traité des excitants modernes : « Ce café tombe dans votre estomac [...]. Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d’une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées ; la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent ; le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. »


Une maison sans café est comme une maison sans livres : il y manque une forme d’énergie secrète. C’est pourquoi, même si vous n’en buvez pas, pensez à Balzac et ayez toujours chez vous un fond de café pour ceux qui l’aiment, court ou long, avec ou sans sucre, avec ou sans lait. Et, bien sûr, quand la tasse aura été reposée sur la soucoupe, n’omettez pas le rituel si français de dire avec grâce : « Reprendrez-vous une tasse de café ? »

« Amuser la galerie »

Qui parmi nous n’a pas eu un jour l’intention « d’amuser la galerie » sans connaître l’origine de cette curieuse expression, qui on s’en doute, ne signifie pas « faire le pitre dans une galerie d’art » ?

 

© Jeu de Paume, Flickr


En fait, l’explication nous vient du XVIIe siècle où l’on pratiquait assidûment le « jeu de paume », initialement joué à main nue ou gantée de cuir. Il devint ensuite un sport de raquettes. C’est évidemment l’ancêtre de la pelote basque et du tennis.

La « courte paume » se joue en salle avec une galerie comme le trinquet pour la pelote basque, contrairement à la « longue paume », qui se joue en extérieur. Ladite galerie était un poste d’observation où, pour se faire remarquer, certains joueurs n’hésitaient pas à multiplier les acrobaties ou autres fantaisies. On disait alors qu’ils « amusaient la galerie ». C’est ainsi que la galerie en est venue à désigner un auditoire, d’abord celui des amateurs du jeu de paume, puis de l’opinion publique en général.

Après la disparition du jeu de paume, l’expression survécut et elle fut de plus en plus utilisée pour caractériser ceux qui cherchaient à séduire un public en « amusant la galerie ». Le Dictionnaire de l’Académie relève en 1835 : « Il se dit encore figurément et familièrement. Du monde, des hommes considérés comme jugeant les actions de leurs semblables ». Pas faux… La preuve avec Paul Léautaud dans le Théâtre de Maurice Boissard : « Il faut palabrer, gesticuler, impressionner la galerie, jouer la comédie sociale, les cabots d’un côté et les gobeurs de l’autre ». Autre exemple significatif avec Martin du Gard dans Les Thibault : « Et personne ne m’ôtera de l’idée d’ailleurs que ton Jaurès, il plastronne pour la galerie ! Dans le fond, il sait aussi bien que moi que les jeux sont faits ».

Mais attention ! On ne doit pas écrire pour épater les lecteurs comme l’expliquait Baudelaire dans ses Conseils aux jeunes littérateurs : « La ligne courbe amuse la galerie mais ne l’instruit pas », ce qui veut dire en d’autres termes qu’un véritable écrivain doit lutter contre la tentation de faire l’intéressant en abusant de maniérisme et d’affection.

Il avait évidemment raison.

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