Il était une fois Camerone

Bien plus que la lutte désespérée de 65 soldats au service de Napoléon III contre deux mille Mexicains juaristes, cette bataille signe à la fois l’identité profonde et le véritable acte de naissance de la Légion étrangère. Le 30 avril 1863, ces Français par le sang versé entrent dans la légende.
Il était une fois Camerone

De quelle alchimie procède un mythe fondateur ? Il est proche cousin de la tragédie grecque et réclame, comme elle, le sacrifice suprême au nom d’un idéal supérieur qui transcende le héros jusqu’à lui faire tutoyer les dieux. Rien de tout cela, à priori, dans l’obscure mission de protection échue à la 3e compagnie du Régiment étranger le 30 avril 1863.

 Et pourtant... Décimée par la fièvre jaune, l’unité est réduite à 62 hommes, ses officiers remplacés par le capitaine Jean Danjou, les sous-lieutenants Jean Vilain et Clément Maudet, tous volontaires. Ils doivent aller au-devant d’un convoi destiné à approvisionner les troupes françaises assiégeant Puebla, ville stratégique dans cette conquête du Mexique lancée par Napoléon III. On redoute que des partisans du président Juárez veuillent s’emparer de l’or et des canons. 

 Il est 1h du matin lorsque Danjou et ses légionnaires se mettent en marche. Et 7h quand ils aperçoivent les troupes ennemies peu après la bourgade abandonnée de Camaron (écrevisse), qui deviendra Camerone dans les rapports militaires. La compagnie forme le carré et brise deux charges de la cavalerie mexicaine. Créée en 1831 pour regrouper les troupes étrangères au service de la France, la Légion a déjà le calme des vieilles troupes. 

 Le capitaine Danjou va se retrancher dans la cour de l’hacienda de Camerone pour fixer l’ennemi et sauver ainsi le convoi. Il est 9h. Bientôt, 1200 fantassins et 800 cavaliers assiègent les légionnaires. Un officier mexicain somme les Français de se rendre. Danjou refuse. Sa main gauche remplacée par une prothèse articulée en bois, sa dextre serrant son revolver, il jure de lutter jusqu’au bout. Un serment que reprennent tous ses hommes. Le capitaine va d’un groupe à l’autre, sous le feu ennemi. Une balle le frappe en pleine poitrine. Mort. Il est 11h, le sous-lieutenant Vilain prend le commandement. Partout des cadavres, Mexicains et légionnaires mêlés. Une deuxième fois, les assaillants invitent les légionnaires à se rendre. Ils n’ont en réponse que le mot de Cambronne.

 À 14h, Vilain est tué à son tour, aussitôt remplacé par Maudet. Il reste moins de vingt défenseurs en état de se battre. À 17h, ils ne sont plus que douze, repliés dans un hangar, la cour ayant été submergée. Une heure plus tard, ils sont cinq et refusent une troisième fois de se rendre. Ils chargent, baïonnette au canon. Le légionnaire Catteau se jette devant le sous-lieutenant Maudet pour le protéger de son corps. Il reçoit dix-neuf balles. Son chef mourra lui aussi, des suites de ses blessures.

 Un officier juariste s’interpose entre ses troupes et les trois derniers légionnaires debout qu’il supplie de cesser le combat. « Nous nous rendrons si on nous laisse nos armes et si vous vous engagez à faire soigner le sous-lieutenant Maudet », dit le caporal Maine. « On ne refuse rien à des hommes tels que vous », consent le colonel Combas. 

 300 Mexicains ont été tués à Camerone, le convoi est passé et Puebla est tombée aux mains des Français. Le nom de la bataille est brodé en lettres d’or sur tous les drapeaux régimentaires de la Légion comme la promesse de mourir plutôt que de faillir. Chaque 30 avril à Aubagne, au Ier Étranger, la main en bois du capitaine Danjou, portée dans un reliquaire, remonte la Voie sacrée avant que ne soit lu le récit du combat. Au Mexique, un monument s’élève, où sont gravés ces mots : « Ils furent ici moins de soixante opposés à toute une armée, sa masse les écrasa, la vie plutôt que le courage abandonna ces soldats français. »

La Bataille de Camerone © www.legion-etrangere.com