Chante le berceau

Pauline, petite fille curieuse, aime caresser les objets et apprendre d’où ils viennent. Dans une large vitrine installée dans le salon de la vieille maison familiale, un objet attire particulièrement son attention. Elle est incapable de le définir.
Chante le berceau

Il pourrait être une cathédrale en miniature, avec ses colonnes tarabiscotées et ses petites statues juchées dessus. Entre celles-là, repose une sorte de banquette, un lit peut-être, le tout est posé sur un socle d’où s’échappe à chaque angle un animal. Est-ce un lion ou un mouton ? Il lui paraît curieux d’hésiter entre ces deux-là dont la principale occupation est de sauter sur l’un, tandis que l’autre fuit. Cet objet bizarre est tout doré, il doit être précieux pour avoir été exposé ainsi dans la vitrine du salon, au-dessous d’une collection de timbales en argent. Pour Pauline, cet assemblage de l’argent et du doré jure un peu. Mais, il s’agit des trésors de Grand’Ma, et ils sont sacrés.

Tandis que les plus petits aident leur grand-mère à décorer le sapin, l’enfant jette des regards vers la vitrine. Des cartons encombrent le tapis du salon. Des guirlandes et des boules semblent se battre entre elles avant qu’elles ne soient séparées par des petites mains avides qui les déposent ou les accrochent dans les branchages. La porte de la vitrine à demi-dissimulée par les branches de l’arbre est bien fermée et… sans clef. Car la demoiselle a pris une décision qui ne sera peut-être pas sans conséquence. Elle attendra le moment favorable et ouvrira cette porte afin de toucher et examiner de plus près cette mini-cathédrale mystérieuse. Pas facile, sans clef. Celle-là ne devrait pas être rangée bien loin. « Que regardes-tu ainsi fixement ? » lui demande Grand’Ma, la tirant de ses rêveries et la faisant sursauter. « Rien, rien ! » — « Hum, pas si sûr », fait alors l’aïeule avec un léger sourire.

La nuit est tombée depuis longtemps, dehors, quelques flocons égarés dessinent des tourbillons sur la pelouse. Les enfants sont montés se coucher. Les adultes, réfugiés dans la bibliothèque, autour de la cheminée dans laquelle craquent une ou deux bûches, goûtent le dernier cocktail concocté par Hadrien, au son d’une musique qui fait grincer les dents de Grand-Pa. — « Tiens, il neige, dit une voix, proche de la porte-fenêtre » — « Ce n’est pas une surprise, c’est la période de Noël », dit une autre. « Ne pourrais-tu pas mettre une musique plus douce ? » demande Emmanuel, à moins que cela ne soit Bérénice. Le DJ familial s’exécute, et, le temps de chercher un nouveau morceau, le silence s’installe dans la pièce.

Chacun se regarde comme saisis par un sort étrange. La chute de neige a pris de l’intensité. La nuit est striée de flèches claires. Les flammes dans l’âtre se promènent sur les bûches à demi calcinées, sans provoquer de craquement. Les mains serrent les verres sans les élever vers les lèvres. On sent la maison respirer, vivante de chacun des membres de la famille. Soudain, une musique cristalline résonne depuis le salon voisin. Grégoire, Monsieur DJ, suspend son geste, laissant la platine tourner à vide. Tous écoutent, sans oser faire un geste voire un commentaire. La mélodie serait céleste qu’ils n’en seraient pas surpris. Les notes sautillent joyeuses puis flottent avant de revenir vers une sarabande joyeuse. Nul ne saurait retenir l’air de cette courte sonate. Ne vient-elle pas d’ailleurs ?

Grand-Pa, le premier se libère de cet envoûtement, se lève suivi par tous et se dirige vers la porte menant, après le corridor, vers le salon. Il ouvre doucement le premier battant, la musique libérée retentit plus fort. Il pousse discrètement le vantail et, stupéfait, voit tous les petits enfants, agenouillés en demi-cercle autour de la table basse sur laquelle a été posée ce que l’on a pris de nommer « la petite cathédrale ». Il l’avait découverte, il y a bien des années, chez un antiquaire à Anvers. Élisabeth, sa femme, avait été fascinée par cet objet qui avait traversé les siècles avant de rejoindre la maison.

La petite Pauline, avertie par le changement d’atmosphère, se retourne et voit sur le seuil de la porte du salon, les visages plus stupéfaits que mécontents des adultes. « — Voilà, dit-elle de sa petite voix flûtée, pardon Grand’Ma, je voulais toucher la petite cathédrale. Je cherchais la clef afin d’ouvrir la vitrine. Et soudain, elle s’est ouvert toute seule. Si, si je te jure. Toutes les dorures se sont mises à briller très fort. J’ai presque eu peur ; mais une toute petite musique très douce a retenti lorsque j’ai pris dans mes bras la petite cathédrale. Je l’ai posée sur la table basse et l’ai caressée et regardée. C’était beau. Et je l’ai vu ! Regardez-le, comme il est mignon. C’est Jésus qui est descendu et s’est allongé dans le petit lit entre les colonnes. Il m’a souri et fait un signe. J’ai compris qu’il me disait d’aller chercher mon frère et les cousins. On a récité, tout heureux, une prière devant lui, et chacun, à notre tour, nous avons caressé sa main et sa joue, à chaque fois, il nous adressait un sourire et la musique sonnait ». 

Grand’Ma serre ses petits-enfants contre elle. Le berceau de Noël se balance doucement et continue de jouer sa mélodie. L’Enfant-Jésus, car c’est bien Lui, un doux sourire sur les lèvres, lève sa main, puis... regagne la crèche. 

Ne manquez pas de lire, ou relire notre autre conte de noël : « Le carnet doré », un conte de Noël».