Amelia ne répond plus !

En 1932, elle est la première femme à traverser l’Atlantique aux commandes d’un avion. L’Amérique la surnomme « Lady Lindy », la Lindbergh au féminin. Sa beauté androgyne, ses audaces en font une icône. Cinq ans plus tard, en tentant de boucler le tour du monde aérien, Amelia Earhart disparaît au-dessus du Pacifique. Sans laisser de trace.
Amelia ne répond plus !

Il est 8 h 44 en ce matin du 3 juillet 1937. Parti la veille de Lae, en Nouvelle-Guinée, le Lockheed Electra vole depuis plus de vingt heures au-dessus du Pacifique lorsque le pilote émet son ultime message. La voix d’Amélia Earhart est tendue. « Je tourne dans la brume… depuis des heures… Je n’ai plus que trente minutes d’essence… Je ne vois toujours pas la terre… Je dois être à 160 kilomètres de Howland… » Et puis plus rien. Le bimoteur n’atteindra jamais l’île minuscule où il devait ravitailler avant de boucler le premier tour du monde aérien réalisé par une femme.

L’émotion publique est inimaginable. Le président Roosevelt mobilise l’US Navy et l’Air Force pour des recherches d’une ampleur sans précédent. En vain. L’Amérique a perdu son héroïne. Amelia Earhart allait avoir quarante ans. Née à Atchison, Kansas, le 24 juillet 1897, rien ne prédisposait la fillette aux yeux rieurs et à la tignasse en bataille à son destin hors norme. Rien sinon son amour des jeux de garçons, des défis de casse-cou qui indignent sa grand-mère et ravissent sa sœur cadette, Muriel.

Millie collectionne les bonnes notes et les escapades en train avec son père, avocat pour les chemins de fer. Puis les déménagements. L’adolescente veut tantôt être médecin ou ingénieur. En 1917, de passage à Toronto, elle voit dans les rues les estropiés canadiens de la Grande Guerre, interrompt ses études pour servir comme infirmière en hôpital militaire.

La guerre finie, voilà Amelia assistante sociale. En 1920, éblouie par les démonstrations de voltige qu’elle observe depuis l’aéroport de Long Beach, elle s’offre un baptême de l’air. « Au moment même où nous avons quitté le sol, j’ai su que je devais voler », écrira-t-elle dans un de ses trois livres, The Fun of it. Pour payer les leçons de pilotage, Amélia multiplie les petits boulots. Victime de sa fougue, elle enregistre atterrissages en catastrophe et accidents divers, sans trop de gravité. Pas de quoi la décourager. À vingt-cinq ans, elle bat le record féminin d’altitude, à 4 300 mètres. Rien ne l’arrêtera plus, pour le plaisir. Et le panache.

En mars 1928, le sort d’Amelia bascule sur un coup de téléphone. La richissime Amy Guest cherche la femme qui sera la première à traverser l’Atlantique en avion, quelques mois après l’exploit historique de Lindbergh. La jeune pilote est volontaire, même si elle ne doit être que passagère, chargée de tenir le journal de bord. Cinq tentatives ont déjà échoué, dont trois se sont terminées de façon tragique. N’importe, le 17 juin, Amelia affiche son sourire le plus confiant à l’instant de décoller de Terre-Neuve avec le pilote Wilmer Stultz et le mécanicien Louis Gordon. L’éditeur George Putnam a chauffé la presse à blanc. Quand, après plus de vingt heures de vol, le Fokker Friendhsip se pose au Pays de Galles, pour le monde entier, Amelia Earhart est devenue Lady Lindy.

Mais il ne lui suffit pas d’avoir traversé l’Atlantique comme un « sac de patates ». Elle veut le faire en solo, aux commandes de son avion, devenir la première femme-pilote à accomplir l’impossible, être vraiment l’égale de Lindbergh. D’ici là, elle enchaîne les exploits, est la première à traverser les États-Unis en solitaire, la première à piloter un autogire, cousin de l’hélicoptère, à battre le record d’altitude et à traverser de nouveau les États-Unis à bord d’un de ces aéronefs. Elle a aussi accepté d’épouser George Putnam, à condition de garder son nom et sa liberté. L’éditeur l’aide à trouver les financements, assure sa communication.

Enfin, le 20 mai 1932, Amélia Earhart s’envole aux commandes d’un Lockheed Vega, une nouvelle fois depuis Terre-Neuve, et atterrit près de quinze heures plus tard en Irlande du Nord. Elle a réussi, sa renommée ne connaît plus de borne. Mais Amelia est décidée à continuer de repousser les limites. Le 11 janvier 1935, elle effectue le premier vol en solitaire entre Hawaï et la Californie.

Et puis, elle veut s’offrir une dernière aventure aérienne, la plus folle, elle veut prendre « le tour de taille de la terre », comme elle dit, être la première femme pilote à réussir un tour du monde aérien, et ce au plus près de l’équateur. Il faut un avion, ce sera le Lockheed Electra, un navigateur, le vétéran Fred Noonan et un itinéraire au millimètre.

Le 1er juin 1937, c’est le décollage depuis Miami, cap sur Porto Rico. Escales et continents se succèdent, sans incident majeur, malgré l’épuisement qui gagne Amelia, malade, amaigrie à mesure qu’elle approche du terme de son pari inouï. Les trois quarts du trajet sont couverts. Reste le pacifique, l’escale critique de Howland avant de rallier Hawaï.

C’est là que se perd sa piste et que débute la légende. Les hypothèses se multiplient, l’Electra se serait écrasé sur une autre île ou bien Amelia et son navigateur auraient été capturés par les Japonais. En 2019 encore, une expédition tente sans résultat de localiser l’épave de l’appareil. Le mystère demeure. Pour plagier Paul-Jean Toulet et ses Contrerimes, Amelia Earhart est morte « comme les oiseaux, sans laisser de cadavre… »

Amelia Earhart © Wikimedia Commons