Le carême du baron Brisse

Entrés cette année dans le carême, le jour de la Saint-Valentin, les lecteurs des billets du Bottin Mondain ne seront pas à un paradoxe près. Or, celui que nous nous proposons de soulever ici, incroyable, mais vrai, arrive à concilier cuisine maigre et plats gourmets ! Ce petit miracle culinaire est dû à l’inimitable baron Brisse (1813-1876), délectable personnage de l’histoire de la gastronomie française.
Le carême du baron Brisse

Qu’on se figure d’abord Léon Brisse qui entre parenthèses, de baron, l’était aussi peu que cette chère baronne Staffe : « au physique, lit-on dans La petite presse du 16 juillet 1876, il ressemblait à un lutteur. Trapu, épaules larges, des battoirs en guise de mains, pour pieds des trottoirs, un cou de taureau, des cheveux d’un blond fadasse, des lèvres rouges, sensuelles, des paupières tombantes et trois mentons ». Ajoutez à cela qu’il « transpirait comme une conspiration mal ourdie » et que son embonpoint l’obligeait à retenir une double place dans les diligences, et vous aurez son portrait physique. 

Pour le reste, qui est le plus important si ce n’est le plus voyant, « c’était avant tout un érudit et un curieux ; il avait surtout une connaissance spéciale et profonde de l’histoire de la cuisine française […] Praticien autant que théoricien et écrivain, il savait ceindre le tablier blanc et manier la cuiller de bois […] éplucher les petits oignons, manier le beurre et les fines herbes, et découper en cubes parfaits un morceau de lard frais ». 

Or, ce sybarite était aussi bonhomme. C’est lui, le premier, qui eut l’idée de proposer une rubrique gastronomique quotidienne dans La Liberté, journal d’Émile de Girardin. Elle fit florès. C’est lui qui aida les maîtresses de maison à varier les plaisirs de la maisonnée en publiant ses fameux 366 menus. C’est lui encore, et c’est là où nous voulions en venir, qui fit paraître, en 1874, la Cuisine en carême du baron Brisse. Ce gros monsieur plein de finesse avait considéré que manger maigre pouvait ne pas rimer avec manger triste. 

Et c’est vrai que ces « menus et recettes pour chaque jour du carême » sont tout à la fois une manne joyeuse et un vade-mecum respectueux. On y navigue du sandwich aux œufs durs à la bisque de homard, de la sauvagine rôtie sur un ragoût d’olives aux escargots à la maître d’hôtel, en passant par les rougets sauce aux huîtres, tartines beurrées garnies de filets de sardines, poires en compote et autres vol-au-vent d’œufs. 

Ami de Rossini, le compositeur que l’on sait et l’inspirateur du tournedos du même nom, d’Alexandre Dumas, l’auteur d’un définitif et réjouissant Dictionnaire de cuisine, le baron des fourneaux fut également la bonne fée des cuisiniers et des clubmen. N’est-ce pas sur proposition de Dumas et de Brisse que Jules Gouffé devint, en 1867, « officier de bouche » du Jockey club ?

 

Le baron Brisse par le comte André Mniszech ©Wikicommons