Une inoubliable comtesse

Qui n’a pas ouvert une boîte de fruits confits sans songer à l’aventure de Sophie dévorant en cachette les friandises ? Qui n’a pas ouvert une bouteille d’encre sans penser au malheureux mouton blanc teint en noir par l’héroïne ? Retour sur les mille et un récits de la comtesse de Ségur dont nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire.
Une inoubliable comtesse

Les petites filles modèles, les Mémoires d’un âne, Les deux nigauds ou Les vacances, tous les titres de la comtesse continuent de s’aligner côte à côte comme une joyeuse litanie sur les étages des bibliothèques, souvent abîmés à force d’être lus et relus dans les familles. D’ailleurs, une bibliothèque pour enfant sans comtesse de Ségur est-elle digne de ce nom ?

Sophie Rostoptchine avait de qui tenir ! Fille du général Fiodor Rostoptchhine qui incendia Moscou à l’arrivée de Napoléon, elle quitta la Russie pour la France, épousa Eugène de Ségur qui se révéla mari volage. Réfugiée en son domaine des Nouettes dans l’Orne, elle élève ses huit enfants, puis nombreux petits-enfants qui lui inspirèrent tant d’histoires. Sa carrière de romancière commence tard : elle a 56 ans quand Louis Hachette lui propose d’écrire pour sa nouvelle collection de littérature jeunesse qui deviendra la « Bibliothèque rose » en 1860. Elle se lance avec succès dans une série d’ouvrages où le monde de l’enfance est dépeint avec talent. Femme pragmatique, elle exige que ses droits d’auteur soient versés sur un compte bancaire indépendant et à son nom jusqu’à la mort de son époux en 1863, une première pour l’époque ! 

La comtesse de Ségur a ce don de parvenir à s’adresser à la psychologie des enfants avec l’acuité de l’adulte en leur donnant des leçons de morale sans en avoir l’air. Dans l’apprentissage du choix du bien ou du mal, elle éduque par ses récits sous forme de dialogues pédagogiques sans jamais tomber dans l’ennui grâce à son sens de l’humour et du comique de situation. Les bons et les mauvais sentiments sont décrits sans détours en permettant aux enfants de se glisser dans la peau des personnages aux destins plus ou moins enviables en suscitant immédiatement l’empathie ou l’antipathie. 

Cherchez dans votre mémoire les épisodes qui vous ont le plus marqués : avez-vous frémi devant Mme Fichini ? Avez-vous ri des parvenus Tourneboule ? Avez-vous admiré la bonté du petit Paul ? Avez-vous été terrifié par la mégère Mme Mac’Miche ? Avez-vous tremblé avec les poissons coupés en morceaux et remis dans le bocal ? Avez-vous imaginé l’aspect de la poupée de Sophie fondant au soleil, le goût de la crème et du pain chaud ou celui du thé fait avec l’eau du chien ? Nous espérons que ce billet ravivera des souvenirs d’enfance chez nos lecteurs.

Célébrons cette femme dont le nom semble toujours sourire, mais dont la vie ne fut pas toujours rose et allons fleurir sa tombe si nous passons au cimetière de Pluneret en Bretagne où sont gravés les mots suivants dans le granit : « Dieu et mes enfants ».