L’héraldique s’amuse sérieusement

La capacité héraldique n’est pas réservée. Elle est ouverte à tout un chacun pourvu que nul ne copie ou ne s’empare de ce qui est un signe d’identité. Les variations des images que l’on appelle « meuble » sont infinies et présentent souvent des figures amusantes voire surprenantes.
L’héraldique s’amuse sérieusement

Il semblerait que l’une des premières armoiries individuelles serait celle de Geoffroy Plantagenêt, comte d’Anjou, datée d’environ 1090 et que l’on peut voir dans la cathédrale du Mans. Son bouclier est décoré d’un semé de lionceaux. Selon l’héraldiste Adrian Strickland, ces signes de reconnaissance seraient apparus après la bataille d’Hastings qui vit en 1066 s’opposer les Saxons et les Normands, incapables de s’identifier sous leur accoutrement guerrier. Pour se faire reconnaître dans les mêlées des batailles et des tournois qui suivirent, les chevaliers prirent alors l’habitude de peindre des figures distinctives sur leur bouclier. De leur côté, les seigneurs-suzerains et chevaliers bannerets firent porter leur bannière, signe de leur droit féodal, ornée de marques distinctives. 

On ne peut pas encore parler de blason. Ces marques furent d’abord des formes simples, géométriques, animales ou florales. Six couleurs — on ne disait pas encore émaux — s’imposèrent, réparties en deux groupes, d’un côté le jaune (or) et le blanc (argent), de l’autre le noir (sable), le rouge (gueules), le vert (sinople) et le bleu (azur). La règle voulait que ne soient pas juxtaposées deux couleurs d’un même groupe, pour une question de visibilité. 

Michel Pastoureau, le maître incontesté en matière d’héraldique, le rappelle d’une manière très claire : « À la fois signe d’identité, marques de possession et ornements décoratifs, les armoiries ont pris place du XIIe au XIXe siècle, sur d’innombrables objets, monuments et documents à qui elles ont, ce faisant, apporté une sorte d’état-civil. » Les recueils de ces images que l’on appelle armoriaux offrent ainsi des séries de vignettes ornées qui, lorsqu’elles ne présentent pas de meubles géométriques, sont de véritables poèmes graphiques. On y voit par exemple un coq tout de rouge vêtu marcher sur une vague ou une onde. À quelle famille pourrait appartenir ces trois pieds sous un ciel étoilé ? Et ces sardines sagement rangées sur une nappe bleue ? Marteaux, haches, lances se mélangent ou côtoient cygnes, léopards ou lions, cerfs et même hirondelles. Nous pourrions croire que les hérauts d’armes ont trouvé tous les prétextes pour s’amuser. Tout leur était bon pour composer des rébus à l’aide de jeux de mots. Devinez : quelle maison désigne-t-on face à ce visage rempli d’yeux ou « d’œils » comme le disent les enfants ? Un mont d’or dans un écu fait songer à une anthroponymie. 

Car si le langage de l’héraldique permet de décrire les blasons, il faut savoir que le blason parle, même indirectement par allusion. Les chaînes de Navarre rappellent, par exemple, l’exploit de Sanche VII qui entra en force dans le camp ennemi entouré de chaînes, restées accrochées à son bouclier. L’Autriche symbolise la tunique de Léopold V, duc de Badenberg, hissée à Saint-Jean d’Acre, couverte de sang, sauf à la ceinture. Il reste que l’animal le plus décrié ou moqué en héraldique n’a jamais existé. Il s’agit de la merlette, ce petit oiseau morné, sans bec ni pattes qui, libérés des écus, rempliraient bon nombre de volières. 

Ne manquez pas de lire, ou relire les billets suivants : « Des roses pour timbrer un losange » et « La chevalière au doigt, j’assume ! » 

Geoffroy Plantagenêt (1113-1151), Église cathédrale de St Julien du Mans © Gallica, WK.